Paquin c. Lapointe[1] : Les modifications législatives adoptées en juin 2017 concernant les sanctions pour les cas d’inconduite sexuelle sont-elles d’application rétrospective?
Faits
Les faits de cette affaire ne sont pas contestés par les parties, l’Appelant ayant enregistré un plaidoyer de culpabilité à leur égard devant le Conseil de discipline des médecins du Québec (ci-après « Conseil »).
L’Appelant est médecin de famille. Dans la nuit du 30 au 31 décembre 2016, alors qu’il est de garde à l’urgence de l’Hôpital Saint-François d’Assise à Québec, il prend en charge un patient âgé de 19 ans qui se plaint de douleurs abdominales. Ledit patient obtient son congé hospitalier en matinée le 31 décembre.
À la suite de sa garde, l’Appelant consulte Facebook et le réseau lui propose le profil du patient en cause à titre d’ami suggéré. L’Appelant lui transmet une demande d’amitié, demande que le patient accepte, suite à quoi il lui écrit sur Messenger et l’invite à communiquer avec lui au besoin.
L’Appelant et le patient poursuivent leurs échanges dans les jours qui suivent. Or, le 4 janvier 2017, les échanges se teintent d’une connotation sexuelle : l’Appelant en vient à laisser sous-entendre au patient qu’il serait ouvert à avoir une relation sexuelle à trois avec celui-ci.
Suite à cette proposition, le patient cesse de répondre. Puis, vers 23h00, après plusieurs relances de la part de l’Appelant à l’occasion desquelles il lui présente ses excuses, ce dernier lui répond « À mon avis cette conversation nest paspas approprié pour un médecin avec son patient ». C’est ce qui met fin à l’interaction entre eux.
Historique procédural
En mars 2018, le Conseil de discipline juge que les modifications législatives faites en 2017 à l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26) (ci-après « C. prof. ») sont d’application rétrospective, rendant ainsi applicables aux infractions commises avant 2017 les sanctions dorénavant prévues. Il met ainsi de côté la fourchette des sanctions qui prévalaient jusqu’alors et impose à l’Appelant une radiation temporaire d’une durée de douze (12) ainsi qu’une amende de 2 500 $[2].
Le 13 mai 2021, le Tribunal des professions rejette l’appel de l’Appelant[3]. À la lumière notamment de l’analyse qu’il fait des arrêts Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)[4] et Brosseau c. Alberta Securities Commission[5], le Tribunal est d’avis que les modifications législatives en cause visent la protection du public et qu’il n’y a pas de matière à intervenir.
Le 7 septembre 2021, la Cour supérieure rejette le pourvoi en contrôle judiciaire de l’Appelant à l’égard de la décision du Tribunal des professions, jugeant que la décision de ce dernier est raisonnable[6]. C’est cette décision qui est portée par l’Appelant devant la Cour d’appel.
Questions en litige
L’Appelant soulève trois (3) questions devant la Cour d’appel, quant à la norme de contrôle appliquée par le juge de première instance, à l’existence d’une erreur de droit en confirmant les conclusions du Tribunal et au caractère raisonnable de la sanction confirmée par celui-ci.
Arrêt
La Cour, sous la plume de la juge Cotnam, rappelle tout d’abord que, lorsqu’elle siège en appel d’un pourvoi en contrôle judiciaire, son rôle est limité, elle qui doit s’en tenir à vérifier que le juge de première instance a identifié la bonne norme de contrôle et qu’il l’a appliquée correctement.
En ce qui concerne la première question en litige, à savoir si le juge de la Cour supérieure a erré en retenant que les questions qui lui étaient soumises devaient faire l’objet de l’application de la norme de contrôle raisonnable et non pas correcte, la Cour répond par la négative. Revisitant les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov[7], celle-ci détermine qu’il ne s’agit pas là de « questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ». Bien qu’elles puissent intéresser les acteurs du domaine professionnel, cela n’étend pas leur portée à l’ensemble du système juridique. La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable trouvait donc ici application.
Pour ce qui est de l’effet rétrospectif des modifications en cause, soit la seconde question lui étant adressée, la Cour d’appel donne par contre raison à l’Appelant. Après avoir revu l’ensemble du dossier, celle-ci détermine que le cadre d’analyse de l’arrêt Tran ne permettait pas aux différents décideurs d’écarter la présomption voulant que les lois n’ont pas d’effet rétrospectif. Elle en arrive à cette conclusion en raison du fait qu’elle ne retrouve pas d’indication, même implicite, que le législateur « a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif de la loi nouvelle et son iniquité potentielle ». En faisant la revue des décisions du Conseil de discipline, du Tribunal des professions et de la Cour supérieure, elle conclut que ceux-ci se sont uniquement appuyés sur l’objectif de protection du public de ces modifications pour leur accorder un caractère rétrospectif, et ce, sans jamais identifier d’indication voulant que le législateur désirait un tel résultat.
En effet, au sens de l’arrêt Brousseau, la Cour rappelle que l’on peut combattre la présomption du caractère non rétrospectif des lois lorsque l’on démontre que l’objet de la loi en cause vise à mettre en place une sanction ou une peine destinée à protéger le public, contrairement à une même mesure qui aurait pour but de punir la personne visée. La Cour note qu’elle a antérieurement étendu la portée de ce principe dans le cadre de l’arrêt Thibault c. Da Costa[8] en y précisant qu’il faut s’attarder à l’objet de la loi et non pas à ses effets, qui peuvent être punitifs, dans la détermination de l’application de cette même présomption.
Or, en 2017, la Cour suprême rend l’arrêt Tran précité, arrêt à l’occasion duquel elle revisite ses enseignements dans l’affaire Brousseau et précise que pour repousser cette présomption basée sur la protection du public, il faut tout de même démontrer que le législateur a indiqué expressément ou « nettement » implicitement qu’il souhaitait que la législation en cause ait des effets rétroactifs ou rétrospectifs. À défaut de ce faire, et toujours dans un contexte de protection du public, cette même présomption peut être combattue en faisant la démonstration que « la structure de la pénalité elle‑même illustre que le législateur a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et ses effets inéquitables potentiels, d’autre part ».
C’est à la lumière de ce cadre juridique que la Cour d’appel conclut comme elle l’a fait eu égard à la seconde question en litige. Elle rappelle tout d’abord qu’il faut débuter l’analyse en présumant que le législateur ne désirait pas accorder à ces modifications un effet rétrospectif et que ce n’est qu’en débusquant des indices à l’effet contraire qu’un semblable effet lui sera octroyé.
La Cour constate ensuite que le législateur n’a pas clairement formulé un tel désir, lui qui a prévu des dispositions transitoires rétroactives à certaines modifications alors qu’il n’a pas inclus le régime de l’article 156 C. prof. sous ce chapeau, cet article étant simplement entré en vigueur en même temps que la loi, le 8 juin 2017.
Puis, la Cour d’appel se tourne vers l’étude des débats parlementaires et elle constate que le législateur n’a en aucun cas abordé la question du caractère rétrospectif de cette modification. Il est plutôt question de la désapprobation sociale entourant les cas d’inconduite sexuelle et le désir de celui-ci de durcir les sanctions à l’égard des professionnels trouvés coupables de pareilles infractions.
Ainsi, à défaut d’indication expresse ou nettement implicite, la Cour en vient à étudier l’exception fondée sur la protection du public au sens notamment des arrêts Brousseau et Tran. La Cour en arrive à la conclusion que le juge de première instance n’a pas été en mesure de faire la démonstration que le législateur a pris en compte les bénéfices et les effets préjudiciables d’une application rétrospective de ces modifications à l’égard des professionnels en cause. La Cour d’appel souligne plutôt que le raisonnement de ce dernier s’est plutôt attardé à différencier les sanctions protectrices de celles étant de nature punitive, ce qui ne permet pas de repousser la présomption en cause.
Vu cette conclusion, la Cour d’appel renvoie le dossier à une formation différente du Conseil, et ce, afin que la sanction appropriée soit déterminée à la lumière de la fourchette des sanctions qui prévalaient avant l’adoption des modifications législatives de 2017.
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[2] Médecins (Ordre professionnel des) c. Paquin, 2018 CanLII 13623.
[3] Paquin c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 55.
[6] Paquin c. Tribunal des professions, 2021 QCCS 4664.