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Dans la présente affaire[1], le Tribunal des professions est saisi d’un appel sur culpabilité et sanction déposé par Dre Suzanne Mailly (ci-après « Appelante »), en sa qualité de syndique adjointe du Collège des médecins du Québec, concernant la décision sur culpabilité et sanction rendue le 31 octobre 2019[2] par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (ci-après « Conseil »).

Les faits sont les suivants : le Dr Steven Monette (ci-après « Intimé ») pratique la médecine familiale depuis 1997. Le 22 août 2001, l’intimé débute une relation thérapeutique avec la patiente, J.P. Le ou vers le 7 mars 2014, à l’occasion d’une consultation à son bureau, l’intimé a une relation sexuelle complète avec la patiente J.P. Cette relation est consentante. Environ deux semaines plus tard, il organise une rencontre avec la patiente J.P. dans une chambre d’hôtel. Après avoir commencé à avoir des ébats préliminaires consentants, l’Intimé cesse ses agissements, dans l’objectif de revenir à une relation thérapeutique saine. Par la suite, alors qu’il continuait toujours le suivi médical de cette dernière, l’Intimé lui tient des propos à caractère sexuel lors de plusieurs échanges SMS, et ce, jusqu’au mois de novembre 2016.

 

Devant le Conseil, l’Intimé plaide coupable à chacun des chefs d’infraction. Il reconnaît avoir contrevenu à l’article 59.1 du Code des professions (ci-après « C. prof ») en ayant une relation sexuelle à son bureau avec la patiente J.P (chef #1) ainsi qu’en tenant des propos à caractère sexuel alors qu’il continuait le suivi médical de la patiente J.P. (chef #2).

L’Intimé se voit imposer une période de radiation de douze (12) mois et une amende de 1 000$ sur le chef #1 et une période de radiation de cinq (5) mois purgé de manière consécutive et une amende de 1 000 $ sur le chef #2.

Devant le Tribunal, l’Appelante formule deux moyens d’appel. Elle allègue, d’une part, que le Conseil a erré en prononçant l’inapplicabilité du régime de sanction instauré par l’article 156 C. prof modifié aux faits antérieurs à son entrée en vigueur le 8 juin 2017. D’autre part, elle allègue que le Conseil a erré en lui imposant le fardeau de preuve quant à l’abus de la relation professionnelle sur la plaignante. Elle allègue que ces erreurs de droit ont eu une incidence sur la détermination des sanctions.

La Loi modifiant diverses lois concernant principalement l’admission aux professions et la gouvernance du système professionnel[3] (ci-après « Loi 11 »), entrée en vigueur le 8 juin 2017, a apporté des modifications au régime de sanctions applicable en matière d’infractions à l’article 59.1 C. prof en imposant des sanctions plus sévères et notamment une radiation minimale de cinq ans, sauf exception. En l’espèce, les faits étant antérieurs à l’entrée en vigueur de la Loi 11, le Conseil devait déterminer si l’augmentation de la sévérité des sanctions était d’application immédiate. Alors que la jurisprudence antérieure avait déjà statué sur cette question et trancher en faveur d’une application immédiate de ces sanctions plus sévères visant la protection du public, le Conseil, dans sa décision, a dérogé à la règle du stare decisis en concluant à la non-rétroactivité de l’article 156 C. prof. modifié, puisque son application contreviendrait « au droit bien établi en jurisprudence et en doctrine sur l’application de la présomption de non-rétroactivité des lois » (par. 8).

D’emblée, le Tribunal adopte une perspective téléologique en rappelant le contexte d’adoption de l’article 156 C. prof. dans l’affaire Paquin[4] afin de mettre en relief le contexte de « désapprobation sociale rattachée aux inconduites sexuelles des professionnels » (par. 75) et la volonté concordante du législateur de protéger le public. En ce sens et suivant les principes énoncés par la cour d’appel dans l’arrêt Da Costa[5] et dans les décisions Bernier[6], Oliviera[7] et Gaudreau[8], « l’augmentation de la sévérité des sanctions […] est d’application immédiate comme elle vise la protection du public » (par. 22). Le raisonnement adopté par le Tribunal se fonde sur la conclusion des décisions précitées, à savoir, que la mission de protection du public des ordres professionnels justifie l’application des peines entrées en vigueur le 8 juin 2017 aux faits antérieurs.

 

Aux fins de clarté, nous nous permettons de reproduire ici le raisonnement du Tribunal quant à la décision du conseil de ne pas appliquer la règle du stare decisis:

[25] Le Tribunal considère qu’en qualifiant l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Da Costa d’arrêt isolé qui déroge au droit bien établi en jurisprudence et en doctrine et en divergeant d’opinion avec les motifs exprimés par notre tribunal dans les affaires Oliveira et Bernier, le Conseil s’est écarté de la règle de droit applicable en confondant notamment la notion de stare decisis horizontal avec celle de stare decisis vertical.

Pour ces motifs, le Tribunal conclut que le Conseil était plutôt lié par la règle du stare decisis vertical applicable entre une juridiction inférieure et une juridiction supérieure. Ceci justifie donc l’intervention du Tribunal pour réformer la décision du Conseil qui est viciée par cette erreur de droit. Le Conseil a ainsi erré en droit en statuant que le nouveau régime de sanctions instauré en vertu des deuxième et troisième alinéas de l’article 156 C. prof. n’est pas d’application immédiate.

 

Le Tribunal constate au demeurant que le Conseil tient la gravité intrinsèque de l’infraction de l’Intimé comme facteur aggravant. Toutefois, le Conseil maintient qu’il « ne peut retenir le niveau de gravité accrue qui en découlerait si les circonstances avaient été celles que la patiente décrit » (par. 111) puisque la plaignante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve quant à ces circonstances.

Dans l’affaire, Denis c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), le Tribunal définit l’abus comme « l'usage mauvais, injuste ou excessif d'une chose, d'un pouvoir ou d'un droit[9] ». La notion d’abus est ainsi comprise dans les infractions auxquelles l’Intimé a plaidé coupable dans la mesure où celles-ci découlent de l’usage déraisonnable du pouvoir qui lui est conféré par sa profession. Ainsi, l’abus n’a pas à être prouvé par la partie plaignante. De ce fait, le Tribunal conclut que le Conseil a commis une erreur de droit en imposant le fardeau à la plaignante de prouver l’abus de la relation professionnelle par l’Intimé.

Plus encore, le Tribunal conclu qu’il apparaît clairement du libellé de l’article 156 C. prof, que le fardeau de la preuve incombe à l’Intimé de « convaincre (sic) le conseil qu’une radiation d’une durée moindre serait justifiée dans les circonstances » et non l’inverse. Le Conseil a également erré en droit en imposant à la plaignante le fardeau de prouver lesdites circonstances sur lesquelles elle s’appuie pour demander cinq ans de radiation. 

Au final, le Tribunal présente une recension de la jurisprudence en matière d’inconduite sexuelle portant sur l’article 59.1 C. prof depuis l’entrée en vigueur de l’art 156 C. prof en 2017. À titre de remède, le Tribunal substitue la sanction imposée sur le chef #1 une radiation temporaire de quatre ans et une amende de 2 500 $; et sur le chef #2 une radiation temporaire de deux ans purgée concurremment à la première et une amende de 2 500 $.

Nous retenons de cette affaire que les sanctions plus sévères imposées par la Loi 11 lors d’une déclaration de culpabilité sous l’article 59.1 C. prof sont d’application immédiate et, par conséquent, s’imposent au Conseil depuis le 8 juin 2017. Le fardeau de conviction incombe à l’Intimé qui doit convaincre le Conseil qu’une radiation d’une durée moindre que cinq ans serait justifiée dans les circonstances. De plus, lors d’un plaidoyer de culpabilité sous l’article 59.1 C. prof, la plaignante n'a pas le fardeau de prouver l’abus de la relation professionnelle par l’Intimé.

 

[1] Médecins (Ordre professionnel des) c. Monette, 2022 QCTP 17.

[2] Médecins (Ordre professionnel des) c. Monette, 2019 CanLII 107639 (QC CDCM).

[3] Loi modifiant diverses lois concernant principalement l'admission aux professions et la gouvernance du système professionnel, LQ 2017, c. 11.

[4] Paquin c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 55 : Demande de pourvoi en contrôle judiciaire rejetée par la Cour supérieure le 2 novembre 2021- 2021 QCCS 4664) et demande de permission d’appel accueillie par la Cour d’appel le 27 janvier 2022- 2022 QCCA 114.

[5] Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347.

[6] Physiothérapie (Ordre professionnel de la) c. Oliveira, 2018 QCTP 25.

[7] Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (Ordre professionnel des) c. Bernier, 2018 QCTP 31.

[8] Gaudreau c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 80.

[9] Denis c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 6, par. 42.