Dans le jugement Gélinas c. Notaires (Ordre professionnel des)[1], le Tribunal des professions (ci-après « Tribunal ») était notamment saisi d’une requête en incompétence de l’avocat ayant représenté Mme Louise-Anne Gélinas (ci-après « Appelante »), de même que d’une requête en arrêt des procédures à l’égard de la plainte disciplinaire pour laquelle elle a été reconnue coupable et sanctionnée, respectivement les 2 décembre 2015 et 18 avril 2016, par le Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec (ci-après « Conseil »).
La trame factuelle est la suivante : l’Appelante, notaire au moment des faits, agissait à titre de liquidatrice testamentaire de la succession du défunt F.M. La preuve révèle qu’elle aurait modifié et/ou altéré le testament et le codicille du défunt, afin d’y inclure un legs à titre particulier en sa faveur, représentant 80 % des avoirs du défunt, alors qu’elle était liquidatrice testamentaire de la succession et signataire à titre de témoin du testament. On lui reprochait également d’avoir modifié et/ou altéré plusieurs chèques tirés du compte bancaire de la succession et visant à rembourser des obligations personnelles de l’Appelante. En première instance, celle-ci fut reconnue coupable.
Quant à la requête en incompétence de son avocat, l’Appelante alléguait avoir été privée de faire une preuve pertinente à sa défense, souhaitant du même coup obtenir la permission d’introduire en preuve, en appel, vingt-huit (28) nouvelles pièces.
Après avoir réitéré la présomption selon laquelle la compétence de l’avocat prévaut, le Tribunal poursuit son analyse en mentionnant que même lorsque la démonstration de l’incompétence est démontrée par celui qui l’allègue, l’analyse doit se poursuivre et la preuve selon laquelle l’incompétence a causé un déni de justice doit être faite.
À la première étape, après avoir entendu l’Appelante, et en l’absence d’une transcription des notes sténographiques de l’audition devant le Conseil, le Tribunal conclu que cette dernière n’avait ciblé aucune conduite blâmable de son avocat dans le déroulement de l’audition, s’en tenant à n’affirmer que des généralités, sans moyen objectif d’évaluer la conduite de l’avocat de même que le fondement des reproches à son égard. Le fait que l’Appelante ait continué de bénéficier des services de son avocat lors de l’audition sur sanction et dans le cadre de ses procédures d’appel devant le Tribunal, choisissant plutôt de formuler des reproches à l’égard de celui-ci plus de trente (30) mois après son départ à la retraite, était d’autant plus de facteurs à prendre en considération pour rejeter les allégations de l’Appelante.
Bien que son analyse ait pu se terminer à cette première étape, le Tribunal poursuit par l’analyse des pièces que l’avocat aurait omis de produire et qui étaient absolument nécessaires à la défense de l’Appelante, selon les prétentions de celle-ci. Le Tribunal conclut quant à lui que l’examen des documents relève que ceux-ci n’ont aucune pertinence concernant l’objet du litige, et que l’Appelante ne tente que de refaire le procès ayant déjà eu lieu devant le Conseil. Le Tribunal rejette donc cette première requête.
La requête en arrêt des procédures se fondait quant à elle sur les délais, qualifiés d’inhumains et de préjudiciables, sur le fait que l’Intimée aurait fait défaut de lui divulguer la preuve, aurait utilisé des manœuvres illicites et fait du harcèlement à son endroit et finalement, de nouveau sur l’incompétence de son avocat.
En droit disciplinaire, l’arrêt des procédures constitue un remède de nature exceptionnelle, appropriée « que dans les cas les plus manifestes, lorsque le requérant démontre l’existence d’un préjudice irréparable qui compromet irrémédiablement son droit de présenter une défense pleine et entière ou l’intégrité du système judiciaire. »[2]
Le Tribunal poursuit en reprenant le test visant à déterminer s’il est justifié d’ordonner un arrêt des procédures, établi par la Cour suprême du Canada dans Babos[3], à savoir :
[52] Dans les deux situations, les exigences suivantes sont applicables :
- il doit y avoir une atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable;
- il ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger cette atteinte;
- s’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des procédures à l’issue des deux premières étapes, le Tribunal doit mettre en balance les intérêts militant en faveur de cet arrêt, d’une part, et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond d’autre part.[4]
Le Tribunal rappelle que la protection constitutionnelle des Chartes[5] ne s’applique pas en droit disciplinaire, mais que c’est plutôt que le principe de justice naturelle et d’équité procédurale qui permet d’invoquer la question relative aux délais. Il conclut ensuite qu’aucune preuve n’avait été faite que les délais étaient déraisonnables et lui ayant causé un préjudice. Ceux-ci étaient plutôt inhérents, autant en première instance qu’en appel, ou encore attribuables en partie à l’Appelante.
Sur le défaut allégué de l’Intimée de divulguer des éléments de preuve, le Tribunal est d’avis que l’Appelante ne pouvait « simplement énoncer qu’un document ne lui a pas été divulgué. Elle doit faire la preuve que ce document ne lui a pas été transmis, qu’il était pertinent au litige et devait être divulgué. »[6] Il rappelle de plus que l’Appelante ne peut s’immiscer dans les enquêtes de la syndique et lui dicter sa conduite. Ce motif est également rejeté, de même que celui alléguant des manœuvres et du harcèlement provenant de la syndique, blâmant et critiquant essentiellement la façon dont elle avait choisi de mener son enquête.
Ayant conclu préalablement que l’Appelante n’avait pas satisfait son fardeau pour démontrer l’incompétence de son avocat, cette conclusion valait également dans le cadre de l’analyse de la requête en arrêt des procédures.
En somme, le Tribunal est d’avis que les motifs invoqués par l’Appelante ne justifiaient en aucun cas de prononcer un arrêt des procédures. Après avoir traité des autres moyens d’appel, celui-ci rejeta l’appel.
[1] 2022 QCTP 35.
[2] Ruffo (Re), 2005 QCCA 647.
[3] R. c. Babos, 2014 CSC 16.
[4] 2022 QCTP 35, par.52.
[5] Article 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11) et article 32.1 de la Charte des droits et libertés de la personne (RLRQ c C-12).
[6] Supra note 4, par.80.