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Faits

Dans la présente affaire[1], M. Alexander Vavilov (ci-après « Vavilov »), né en 1994 à Toronto, est l’enfant de deux agents des renseignements étrangers de la Russie. Avant l’arrestation de ses parents aux États-Unis en 2010, Vavilov ne sait pas que ses parents ne sont pas ceux qu’ils prétendent être et il croit être citoyen canadien de naissance, il vit et s’identifie comme canadien et possède un passeport canadien.

En 2013, un certificat de citoyenneté canadienne lui est décerné. Toutefois, en 2014, la greffière de la citoyenneté canadienne annule le certificat de Vavilov au motif qu’il est visé par l’article 3(2)a) de la Loi sur la citoyenneté qui prévoit qu’un enfant d’un « agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger » ne bénéficie pas de l’application de la règle générale voulant qu’une personne née au Canada soit citoyen canadien. En effet, la greffière conclut que les parents de Vavilov étaient des employés ou représentants de la Russie au moment de sa naissance.

Jugement des instances inférieures

Vavilov présente une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale, qui lui est refusée, puis à la Cour d’appel fédérale, qui accueille celle-ci. La Cour d’appel fédérale casse la décision de la greffière, qui est jugée déraisonnable. La ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration se pourvoit donc en appel devant la Cour suprême.

Arrêt de la Cour suprême

Dans cet arrêt, la Cour suprême maintient la conclusion de la Cour d’appel fédérale cassant la décision de la greffière.

Elle en profite pour analyser et clarifier le droit applicable au contrôle judiciaire des décisions administratives. La Cour suprême clarifie ainsi deux aspects importants : (1) l’analyse visant à déterminer la norme de contrôle applicable et (2) la nécessité d’indications plus précises sur l’application appropriée de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

La Cour suprême souligne qu’il est nécessaire de revoir l’approche du contrôle judiciaire afin d’apporter une cohérence et une prévisibilité accrues à celui-ci. Il importe également de réviser le cadre d’analyse servant à déterminer la norme de contrôle applicable lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative.

1. Détermination de la norme de contrôle applicable

  • Présomption de la norme de contrôle de la décision raisonnable

En premier lieu, la Cour suprême établit que le cadre d’analyse révisé de la norme de contrôle repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable à tous les aspects de la décision, et ce, en toutes circonstances. Cette présomption a pour effet d’abolir la nécessité pour une cour de justice de recourir à une analyse contextuelle afin d’établir la norme de contrôle appropriée.

La Cour suprême vient également préciser qu’à la lumière de cette nouvelle présomption, l’expertise relative des décideurs administratifs n’est plus pertinente pour déterminer la norme de contrôle applicable. Cette expertise relative doit seulement être prise en compte lors de l’exercice du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, donc lors de son application.

  • Exceptions à la norme de contrôle de la décision raisonnable : la norme de la décision correcte

Toutefois, la Cour suprême reconnait que cette présomption peut être réfutée lorsque l’une des deux situations suivantes se présente : le législateur a indiqué qu’il souhaite l’application d’une norme différente ou la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte.

Indication contraire du législateur : Cette première exception vise notamment les deux cas suivants :

  • le législateur prescrit expressément la norme de contrôle applicable; ou
  • le législateur indique qu’une dérogation à la présomption est de mise en prévoyant un mécanisme d’appel à l’encontre d’une décision administrative devant une cour de justice.

Dans ce dernier scénario, ce seront les normes d’appel qui s’appliqueront, donc la norme de la décision correcte pour les questions de droit et la norme de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait ou les questions mixtes de droit et de faits.

Primauté du droit : Cette deuxième exception commande parfois l’application de la norme de la décision correcte. Ce sera notamment le cas pour certaines catégories de questions de droit :

  • les questions constitutionnelles;
  • les questions de droit général d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble; et
  • les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs.

La raison justifiant l’application d’une norme différente à ces questions réside dans le fait que ces dernières doivent obtenir une réponse décisive, définitive et uniforme. Ceci implique qu’il n’existe qu’une seule décision possible et non pas un spectre de décisions acceptables. 

Conclusions sur la détermination de la norme de contrôle applicable

Il n’est pas impossible que d’autres dérogations à la présomption de la norme de la décision raisonnable soient reconnues, mais l’application de la norme de la décision correcte devrait revêtir un caractère exceptionnel et devrait respecter les principes prépondérants énoncés dans le présent arrêt. Ainsi, toute nouvelle catégorie de questions commandant l’application de la norme de la décision correcte devrait comporter une indication de cette volonté tout aussi solide et convaincante qu’une norme établie par voie législative ou par un mécanisme d’appel ou encore que le défaut d’appliquer cette norme mettrait en péril le bon fonctionnement du système de justice.

Par exemple, la Cour suprême indique que les questions de compétence ne devraient plus être reconnues comme une catégorie distincte devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. En effet, elle juge que les cours de justice sont en mesure de veiller à ce que les organismes administratifs agissent dans les limites de leurs pouvoirs sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen préliminaire des questions de compétence et sans avoir à recourir à la norme de la décision correcte.

2. Application de la norme de contrôle de la décision raisonnable

L’application de la norme de la décision raisonnable vise à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Lors de l’application de cette norme de contrôle, la cour de révision doit tenir compte du résultat et du raisonnement ayant mené à cette décision. Ainsi, le réviseur doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, sans se demander s’il s’agit de la décision qu’il aurait rendue et sans procéder à nouveau à l’analyse complète du dossier.

La Cour suprême réitère dans cet arrêt les éléments devant être pris en compte lorsque la norme de la décision raisonnable est appliquée, soit les suivants :

  • les motifs de la décision, le cas échéant :

C’est principalement en analysant ces éléments que la cour de révision verra à faire preuve de déférence à l’égard de l’expertise du tribunal administratif. L’une des lacunes fondamentales permettant d’établir qu’une décision est déraisonnable est lorsqu’il a un manque de logique interne du raisonnement. Il ne s’agit pas ici d’analyser phrase par phrase le raisonnement à la recherche d’une erreur, mais plutôt d’établir s’il existe une faille décisive au raisonnement global.

  • les contraintes juridiques et factuelles

Ces contraintes, quoiqu’elles soient déjà prises en compte dans l’évaluation du contexte de la décision, doivent être considérées afin de cerner les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir et des types de solutions qu’il peut retenir. Ces contraintes peuvent notamment être :

-le régime législatif applicable;
-tout principe législatif ou de common law pertinent;
-les principes d’interprétation des lois;
-la preuve présentée;
-les observations des parties;
-les faits dont le décideur peut prendre connaissance d’office;
-les pratiques et décisions antérieures de l’organisme; et
-l’impact de la décision sur l’individu.

Commentaires : Impact de cet arrêt en droit disciplinaire

En droit disciplinaire, le législateur a prévu au Code des professions un mécanisme d’appel des décisions rendues par les conseils de discipline devant une cour de justice, soit le Tribunal des professions. Ceci étant, nous comprenons que le législateur souhaitait l’application des normes applicables en matière d’appel soit l’erreur manifeste et dominante et la norme de la décision correcte. L’arrêt Vavilov ne modifie pas le régime déjà applicable en droit disciplinaire, puisque celui-ci avait d’ores et déjà été clarifié par l’arrêt Parizeau c Barreau du Québec[2] rendue en 2011 par la Cour d’appel du Québec.

Par ailleurs, le droit d’appel n’ayant pas été prévu pour les jugements du Tribunal des professions, ceux-ci feront l’objet d’un contrôle judiciaire, le cas échéant. Dans ces circonstances, la norme applicable par défaut sera celle de la décision raisonnable, à moins que les questions en jeu se retrouvent dans une autre catégorie d’exceptions spécifiée par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov.


[1] 2019 CSC 65.
[2] 2011 QCCA 1498 (CanLII).