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Dans la présente affaire[1], le Tribunal des professions (ci-après « Tribunal » est saisi d’un appel déposé par la Dre Shahida Nasreen Rabbani (ci-après « Appelante ») concernant la décision sur sanction rendue le 15 juillet 2019 par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (ci-après « Conseil ») lui imposant une radiation temporaire de six mois pour « avoir fait défaut d'élaborer son diagnostic avec la plus grande attention et d'utiliser les méthodes scientifiques les plus appropriées lorsqu'elle a évalué madame X, née le […], une patiente qui lui avait été référée pour saignement post ménopausique et qui l’a consultée à compter du 9 avril 2015, négligeant de prévoir une hystéroscopie diagnostique malgré la présence de saignements persistants, omettant ainsi d'éliminer la possibilité d'un adénocarcinome endométrial, contrevenant ainsi aux articles 46 et 47 du Code de déontologie des médecins et commettant des actes contraires à la dignité de la profession, contrairement à l’article 59.2 du Code des professions ». L’Appelante a fait appel de la décision sur sanction, affirmant que le Conseil s’est écarté indûment des sanctions habituellement imposées en semblable matière et que la décision n’est pas suffisamment motivée à ce sujet. Elle a également soutenu que le Conseil a accordé une importance démesurée à son dossier professionnel et lui reproche d’avoir rendu une sanction à caractère punitif. La décision du Conseil imposant une radiation temporaire de trois mois sur le chef 2 ne fait pas l’objet de l’appel, et en conséquence, ne sera pas abordé dans le présent résumé.

 

Pour son analyse, le Tribunal examine chaque argument présenté par l’Appelante et répond à deux questions:

(1) La décision du Conseil est-elle suffisamment justifiée?

(2) Le Conseil a-t-il erré dans l'imposition de la sanction?

 

Le Tribunal répond positivement à la première question et négativement à la seconde, ne relevant pas d’erreur de principe ayant une incidence sur la détermination de la sanction. Bien que la sanction soit considérée sévère, le Tribunal ne juge pas qu'elle soit manifestement non indiquée. En conséquence, l’appel de l’Appelante est rejeté.

 

En ce qui concerne les motifs de la décision, et plus précisément sur la question de la motivation de la décision, le Tribunal conclut que le processus analytique du Conseil est intelligible et permet au Tribunal de suivre son raisonnement. Le Conseil avait évalué la gravité objective de l'infraction, en notant qu'il ne s'agissait pas d'un cas isolé, mais de négligences répétées. Le Tribunal a également noté que le Conseil avait pris en compte les éléments atténuants et aggravants avant de décider de la radiation temporaire de six mois. Le Conseil avait également analysé la jurisprudence pertinente aux infractions relevant de l'article 47 du Code de déontologie des médecins et avait conclu que ces décisions offraient un nombre de circonstances atténuantes plus élevées que le présent dossier et que le dossier professionnel de l’Appelante était de plus grande envergure que ceux comparés. Au final, le Conseil s’est écarté de la fourchette habituelle des sanctions, mais a pris le soin de justifier adéquatement sa décision. Par conséquent, de l’avis du Tribunal, la décision du Conseil est suffisamment motivée pour permettre un examen valable en appel.

 

Ensuite, en ce qui concerne la sanction imposée par le Conseil, le Tribunal précise que les fourchettes de peines ne sont que des guides et que le Conseil pouvait prononcer une sanction qui dérogeait à la fourchette établie, pourvu que la sanction respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Le Conseil avait placé la protection du public en premier plan et avait conclu que les infractions sont intrinsèquement très graves et qu'elles touchaient l'essence même de la profession. Le Tribunal note que la gravité objective d'une faute donnée ne doit pas être subsumée au profit de circonstances atténuantes qui relèvent davantage de la personnalité du professionnel que de l'exercice de la profession. Selon le Tribunal, il n’y a pas d’erreur révisable en appel quant à la conclusion du Conseil relativement à la gravité objective de l’infraction. Quant à l’écart entre la sanction imposée par le Conseil et celle habituellement imposée en semblable matière, le Conseil a rejeté la suggestion de l’Appelante d’une radiation temporaire de deux (2) mois et s’est écarté des sanctions imposées dans les affaires Pordan[2] et Bergeron[3] pour des infractions similaires. Toutefois, le Tribunal est d’avis que le Conseil a établi des distinctions dans l’analyse des précédents qui ne sont pas entachées d’une erreur révisable.

 

Puis, en ce qui concerne l'importance accordée par le Conseil au dossier professionnel de l'Appelante, le Tribunal rappelle qu’il doit accorder une grande latitude au Conseil parce que celui-ci a le privilège d’entendre la preuve et les témoins et qu’il est mieux placé pour déterminer la sanction appropriée eut égard aux circonstances. Il ajoute également que la pondération à accorder aux facteurs pertinents relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Conseil et ne constitue pas une matière révisable à moins d’une erreur de principe. Dans le cas présent, le Conseil avait souligné que les différents éléments tirés du dossier professionnel de l'Appelante mettaient en évidence des lacunes dans son jugement professionnel et clinique. Le Tribunal, quant à lui, souligne que les extraits du dossier professionnel cités sont liés aux infractions commises par l'Appelante et mettent en évidence ses carences professionnelles répétées, son introspection mitigée et le risque de récidive. Le Tribunal considère ainsi que la considération de ces éléments comme des facteurs subjectifs aggravants ne constitue pas une erreur de principe permettant l'intervention du Tribunal.

 

Enfin, l'Appelante conteste la sanction imposée par le Conseil, arguant qu'une radiation temporaire de six mois est punitive et qu'elle lui porte préjudice en la privant de son droit pratique. Elle affirme que le Conseil n'a pas pris en compte tous les facteurs subjectifs pertinents du dossier et qu'il n'a pas accordé suffisamment d'importance aux facteurs atténuants. L'Appelante soutient que le Conseil a omis de procéder à l'individualisation de la sanction, ce qui aurait pour effet de vicier l'ensemble de son analyse et de rendre une décision indûment punitive. Toutefois, le Tribunal juge que l'Appelante doit démontrer que la sanction est manifestement non indiquée et non seulement trop sévère, ce qu'elle n'a pas réussi à faire. En effet, pour le Tribunal, le Conseil avait pris en compte les objectifs pertinents et les circonstances spécifiques du dossier pour décider de la sanction appropriée pour l'Appelante. Le Conseil avait notamment évalué la gravité objective des infractions, les facteurs subjectifs et le dossier professionnel de l'Appelante pour décider de la sanction sur-mesure. Le Tribunal n'a trouvé aucune erreur de principe sur la détermination de la sanction et a conclu que bien que cette dernière soit plus sévère que la norme pour des infractions similaires, cela ne justifie pas l'intervention du Tribunal.

 

En résumé, cette affaire nous enseigne que les fourchettes de peines ne sont que des guides plutôt que des carcans en matière de sanctions, et que le Conseil peut donc imposer une sanction qui s'écarte de la fourchette préétablie, pourvu que celle-ci respecte les principes et les objectifs de détermination de la peine. De plus, nous avons appris que les éléments du dossier professionnel liés aux infractions reprochées dans la plainte peuvent être des facteurs subjectifs importants dans la détermination de la peine.

 

[1] Rabbani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 3.

[2] Médecins (Ordre professionnel des) c. Pordan2018 CanLII 127653 (QC CDCM).

[3] Médecins (Ordre professionnel des) c. Bergeron, 2016 CanLII 19387 (QC CDCM).