Dans la présente affaire[1], le Tribunal des professions (ci-après « Tribunal ») accueille en partie l’appel des décisions sur culpabilité et sanction rendues par le Conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (ci-après « Conseil ») porté par Danielle J. Morin (ci-après « Appelante »).
Les faits sont les suivants. L’Appelante travaillait à titre d’infirmière au Centre d’Info-Santé de Murdochville depuis 2003. Info-Santé est un service qui permet aux citoyens de communiquer 24/7 avec une infirmière pour discuter d’un problème non urgent. Lorsque le problème est urgent, l’usager doit se rendre à l’urgence d’un hôpital. L’infirmière qui devait répondre aux appels pouvait appuyer sur un bouton afin de mettre l’appel en attente. Si elle appuyait deux fois, l’appel était dirigé vers un autre centre. Les statistiques de l’Appelante pour la période du 1er janvier 2008 au 31 janvier 2011 relèvent un nombre élevé d’appels « courts », soit des appels de moins de dix secondes. Ainsi, il a été démontré que l’Appelante utilisait ce stratagème afin d’éviter de recevoir des appels, et ce, même si elle était disponible.
Le 4 mars 2014, le Conseil reconnaît l’Appelante coupable d’un chef d’infraction lui reprochant d’avoir omis de faire preuve de disponibilité, en regard des articles 3 et 25 du Code de déontologie des infirmières et infirmiers (ci-après « Code de déontologie »). Le 12 janvier 2015, il lui impose une radiation temporaire de huit mois et ordonne à la secrétaire du Conseil de faire publier un avis de sa radiation.
Sur culpabilité, l’Appelante reproche au Conseil de ne pas avoir appliqué l’arrêt Kineapple en la déclarant coupable à la fois de l’article 3 et de l’article 25 du Code de déontologie. Dans son mémoire, France Desroches, syndique de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (ci-après « Intimée »), reconnaît le bien-fondé de ce moyen d’appel et suggère au Tribunal de prononcer une suspension conditionnelle des procédures quant à l’article 3 du Code de déontologie. Le Tribunal accueille donc l’appel sur culpabilité et rend une décision en ce sens.
Sur sanction, l’Appelante adresse de très nombreux reproches au Conseil et s’en prend à la justesse de la sanction. D’entrée de jeu, le Tribunal rappelle que le Conseil jouit d’un large pouvoir discrétionnaire qui commande une grande retenue.
Premièrement, l’Appelante reproche au Conseil d’avoir conclu que l’infraction qui lui était reprochée était une infraction grave qui devait entraîner une radiation. Rejetant cet argument, le Tribunal rappelle l’importance du service de première ligne dans le système de santé qu’est Info-Santé.
Deuxièmement, elle soumet que le Conseil a accordé un accent trop important sur l’un ou l’autre des facteurs appropriés aux circonstances. Le Tribunal conclut que le Conseil n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de pondération des facteurs pertinents[2] de façon déraisonnable.
Troisièmement, l’Appelante reproche au Conseil de ne pas avoir tenu compte de certains facteurs atténuants. Le Tribunal estime qu’il est exact que le Conseil ne reprend pas tous les éléments que comportait le témoignage de l’Appelante. Or, il est bien établi qu’un décideur n’a pas l’obligation d’analyser dans son jugement tous les éléments factuels mis en preuve devant lui. Les motifs du décideur doivent être considérés globalement.
Quatrièmement, elle reproche au Conseil de lui avoir imposé une sanction punitive, ce à quoi le Tribunal n’adhère pas.
Cinquièmement, l’Appelante soumet que le principe de l’harmonisation des sanctions aurait dû amener le Conseil à lui imposer la même sanction qu’il a imposée à une autre infirmière d’Info-Santé qui a fait l’objet d’une plainte disciplinaire de même nature, soit une période de radiation temporaire de six mois. Rejetant encore une fois cet argument, le Tribunal rappelle que le principe d’harmonisation des sanctions ne doit pas contrevenir au processus de détermination de la sanction axée sur l’individu et pour cette raison, des sanctions prononcées à l’égard des mêmes catégories d’infractions ne seront pas toujours parfaitement semblables. En l’espèce, l’Appelante n’a pas répondu à plusieurs appels pendant une période plus longue que l’autre infirmière. De plus, il semble que le Conseil retient que c’est l’Appelante qui a influencé l’autre infirmière à ne pas répondre aux appels.
Le Tribunal rejette donc l’appel sur sanction.
Nous retenons de cette décision la déférence dont le Tribunal doit faire preuve à l’égard d’une décision prise par un conseil de discipline dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de pondération des facteurs pertinents. Le Tribunal doit évaluer la façon dont le Conseil a soupesé ou mis en balance les différents facteurs au regard de la norme de contrôle de la raisonnabilité. Pour finir, nous insistons sur le fait qu’un décideur n’a pas l’obligation d’analyser dans son jugement tous les éléments factuels mis en preuve devant lui, les motifs devant être considérés globalement.
[1] Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c Morin, 2018 QCTP 73.
[2] R. c Lacasse, [2015] 3 RCS 1089.