Dans la présente affaire, la Cour d’appel était saisie d’une demande présentée par la Dre Sonia Dal Pozzo Nizard pour permission d’appeler d’un jugement rendu en cours d’instance par la Cour supérieure qui rejette une demande de sursis d’une décision administrative du Comité d’inspection professionnelle du Collège des médecins du Québec (ci-après « CIP »).
Les faits sont les suivants. Le 21 juin 2019, le CIP a pris acte de l’échec du tutorat effectué par la Dre Nizard entre mars et novembre 2018 et lui a imposé un stage de perfectionnement de 50 jours avec limitation de l’exercice de la profession aux actes nécessaires à la poursuite du stage et l’achèvement des dossiers incomplets. La Dre Nizard a demandé le contrôle judiciaire de la décision du CIP et en a demandé le sursis. Au soutien de sa demande de sursis, cette dernière alléguait que le rejet de ladite demande rendrait son pourvoi académique, et ce, puisqu’elle aurait terminé son stage de 50 jours avant l’audience au fond, laquelle audience avait été fixée au 15 novembre 2019. Le 26 août 2019, la Cour supérieure a rejeté la demande de sursis tout en concédant que cela rendrait le pourvoi en contrôle judiciaire académique.
La Cour d’appel accueille la demande de permission d’appeler et suspend l’exécution du jugement de la Cour supérieure. Ses motifs sont notamment les suivants.
L’apparence de droit
D’abord, la Cour d’appel abonde dans le même sens que la Cour supérieure en concluant que le critère de l’apparence de droit « est généralement peu exigeant »[1] et que le seuil requis est franchi.
Le préjudice irréparable
Ensuite, la Cour d’appel conclut comme la Cour supérieure que le critère du préjudice nécessaire à l’octroi du sursis est satisfait. Sur ce sujet, la Cour d’appel se prononce comme suit :
« [6] Tel que mentionné, sans le sursis, le pourvoi en révision judiciaire devant la Cour supérieure deviendra académique. Il est reconnu par des juges de la Cour traitant des demandes de sursis d’exécution provisoire que même si le jugement de première instance n'est pas nécessairement affecté d'une faiblesse apparente, il est approprié d'accorder le sursis d'exercice dans une situation où l'appel sera rendu académique sans l'octroi d'un sursis. Le même raisonnement s’applique en l’espèce. D’ailleurs, le juge, en examinant l’aspect préjudice, reconnaît ceci aux paragraphes [51] et [58] de son jugement, mais ne donne aucun effet. »
La balance des inconvénients
Dans son jugement, la Cour supérieure était d’avis que la balance des inconvénients penchait en faveur du Collège des médecins. En effet, la Cour supérieure a tout d’abord rappelé ce qui suit :
« [68] Or, les tribunaux reconnaissent que les intérêts des plaideurs privés sont en principe subordonnés à l’intérêt public et qu’on ne saurait agir à l’égard d’organismes constitués en vertu d’une loi, comme le Collège et son comité d’inspection professionnelle, comme s’ils avaient un intérêt distinct de celui du public au bénéfice duquel ils remplissent leur fonction. »[2]
Suite à cela, la Cour supérieure a réitéré les propos de la Cour suprême à l’effet qu’une fois « établ[i] simplement que l’organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public », « le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l’interdiction de l’action causera un préjudice irréparable à l’intérêt public »[3]. Enfin, la Cour supérieure a jugé que le Collège des médecins a fait la preuve d’une crainte objective que la protection du public soit compromise si le sursis devait être ordonné[4].
La Cour d’appel, quant à elle, diverge d’opinion avec la Cour supérieure et juge que la balance des inconvénients penche en faveur de la Dre Nizard.
En effet, la Cour d’appel insiste sur le fait que « ce qui est revendiqué contre la partie requérante est la tenue de notes des dossiers et la gestion de son temps; les compétences cliniques, comme telles, ne sont pas mises en question »[5]. Surtout, la Cour d’appel insiste sur le fait qu’il est constaté, dans le rapport d’inspection professionnelle visant la Dre Nizard, « qu’il n’y a aucune conduite dangereuse ou incompétente »[6].
Enfin, la Cour d’appel considère le fait que le CIP a rendu sa décision presque huit (8) mois après le rapport du 4 novembre 2018. Pour cette dernière, cela indique « que [le Collège des médecins] n’a pas vu la situation comme créant une menace pour le public »[7].
Devant toutes ces constatations, la Cour d’appel accueille la demande de la Dre Nizard et suspend le jugement de la Cour supérieure.
Commentaires
Avec la plus haute forme de respect, nous nous permettons de soulever quelques questionnements en lien avec l’affirmation de la Cour d’appel à l’effet que « même si le jugement de première instance n’est pas nécessairement affecté d’une faiblesse apparente, il est approprié d’accorder le sursis d’exercice dans une situation où l’appel sera rendu académique sans l’octroi d’un sursis »[8].
En premier lieu, rappelons que la demande de sursis est assujettie aux mêmes critères que la demande d’injonction interlocutoire[9]. Il convient donc de s’inspirer de la législation en matière d’injonction interlocutoire pour interpréter les règles applicables à la demande de sursis.
En matière d’injonction interlocutoire, la loi est à l’effet que le critère du préjudice irréparable peut être satisfait par la démonstration d’un « état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace »[10]. Cela dit, la loi traite bel et bien ce critère comme étant cumulatif à celui de l’apparence de droit :
« 511. L’injonction interlocutoire peut être accordée si celui qui la demande paraît y avoir droit et si elle est jugée nécessaire pour empêcher qu’un préjudice sérieux ou irréparable ne lui soit causé ou qu’un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace ne soit créé.
[…] »
En matière de sursis, la jurisprudence est également à l’effet que le critère du préjudice irréparable est satisfait par la démonstration du fait que le rejet du sursis rendra l’appel ou le pourvoi en contrôle judiciaire académique[11]. Cela dit, la jurisprudence a également, de façon générale, traité ce critère comme étant cumulatif à celui de l’apparence de droit.
Autrement dit, la démonstration d’un tel état de fait ou de droit, en jurisprudence, n’a généralement pas eu pour effet que le critère de l’apparence de droit soit écarté.
En fait, la Cour suprême est au contraire d’avis que l’existence d’un tel état de fait ou de droit, tant en matière de sursis que d’injonction interlocutoire, doit non pas permettre de passer outre le critère de l’apparence de droit, mais de faire en sorte que ce critère soit examiné de façon encore plus approfondie :
« Il existe deux exceptions à la règle générale selon laquelle un juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi sur le fond. La première est le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l'action. Ce sera le cas, d'une part, si le droit que le requérant cherche à protéger est un droit qui ne peut être exercé qu'immédiatement ou pas du tout, ou, d'autre part, si le résultat de la demande aura pour effet d'imposer à une partie un tel préjudice qu'il n'existe plus d'avantage possible à tirer d'un procès. En fait, dans l'arrêt N.W.L. Ltd. c. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294, à la p. 1307, lord Diplock a modifié le principe formulé dans l'arrêt American Cyanamid:
Les circonstances justifiant l'application de cette exception sont rares. Lorsqu'elle s'applique, le tribunal doit procéder à un examen plus approfondi du fond de l'affaire. Puis, au moment de l'application des deuxième et troisième étapes de l'analyse, il doit tenir compte des résultats prévus quant au fond. »[12]
Notons que ce principe, initialement formulé en 1994, demeure réitéré à ce jour, dont notamment et récemment par la Cour d’appel[13].
Toutefois, au paragraphe 6 de la présente affaire, la Cour d’appel semble se distancier dudit principe en affirmant que dans certaines des circonstances décrites ci-haut par la Cour suprême, le critère de l’apparence de droit ne devra pas être approfondi et pourra être écarté.
À la lumière de ce qui précède, nous nous questionnons quant à la possible existence d’une contradiction en jurisprudence. D’un côté, un état de fait ou de droit de nature à rendre l’appel ou le pourvoi en contrôle judiciaire académique semble permettre de passer outre le critère de l’apparence de droit dans le cadre d’une demande de sursis. De l’autre, un tel état de fait ou de droit semble imposer un examen plus approfondi du même critère.
[1] Groupe CRH Canada inc. c. Beauregard, 2018 QCCA 1063 (CanLII).
[2] Dal Pozzo Nizard c. Collège des médecins, 2019 QCCS 3856 (CanLII), para. 68.
[3] RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 1994 CanLII 117 (CSC).
[4] C.E. c. Collège des médecins du Québec, 2015 QCCS 1322 (CanLII).
[5] Dal Pozzo Nizard c. Collège des médecins du Québec, 2019 QCCA 1488 (CanLII), para. 12.
[6] Id.
[7] Id., para. 13.
[8] Dal Pozzo Nizard c. Collège des médecins du Québec, 2019 QCCA 1488 (CanLII), para. 6.
[9] Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110, 1987 CanLII 79 (CSC), para. 30.
[10] Article 511, al. 1 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01.
[11] Adle c. Tribunal des professions, 2018 QCCS 3028, para. 28.; Syndicat des employés de métier d’Hydro-Québec c. Roy, 2019 QCCS 2306, para. 41.
[12] RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 1994 CanLII 117 (CSC), p. 338.
[13] Chikh c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2014 QCCA 1954 (CanLII),para. 22 et 32, Groupe CRH Canada inc. c. Beauregard, 2018 QCCA 1063 (CanLII), para. 74.